Peintre
français (Paris, 1834 - 1917).
À la tête,
avec Manet, du mouvement impressionniste, le «peintre des danseuses»,
mais aussi des modistes, des champs de courses et des cafés,
suscite l'admiration de ses contemporains et le respect des jeunes
artistes de son temps, ce qui ne l'empêche pas d'affirmer sa
vie durant un solide principe d'indépendance et un goût
profond pour la modernité.
Étudiant assidu
de la peinture ancienne et moderne il possède des uvres
signées le Greco, Ingres, Delacroix, Corot, Courbet, Manet,
Gauguin, Cézanne , Edgar Degas est aussi l'artiste exigeant
dont Odilon Redon pourra dire: «C'est sur lui que se discutera
toujours le principe de l'indépendance... Degas aurait droit
à son nom inscrit au haut du temple. Respect ici, respect absolu.»
En un demi-siècle d'activité, il réalise quelque
2 000 tableaux et pastels, 74 sculptures, plus de 200 monotypes, 68
gravures et des centaines de dessins. Mais cet artiste doué,
qui, né dans une famille aisée, bénéficie
de la meilleure formation, ne serait pas Degas sans la formidable
crise des années 1870, qui l'amène à rompre avec
Ingres et ses disciples pour se consacrer à des recherches
entièrement originales qui feront de lui un phare pour les
générations à venir.
Les années de formation
Depuis sa naissance,
le 19 juillet 1834, Edgar de Gas, l'aîné des cinq enfants
d'un banquier, est destiné à faire carrière dans
la finance. Il suit des études classiques au collège
Louis-le-Grand, à Paris, obtient son baccalauréat ès
lettres, puis s'inscrit à la faculté de droit. Mais
Edgar, qui se passionne pour le dessin et la peinture, consacre tous
ses moments libres à l'étude des maîtres anciens
au musée du Louvre et au cabinet des Estampes de la Bibliothèque
impériale. À vingt et un ans, il délaisse le
droit et entre à l'École des beaux-arts, où il
s'inscrit dans l'atelier de Louis Lamothe, un peintre académique
proche d'Ingres. Son père suit d'un il intéressé,
parfois critique, ses débuts dans la peinture. Pour mieux se
préparer au prix de Rome, il s'embarque pour l'Italie, pays
d'origine de sa famille paternelle, où il séjourne pendant
trois ans. Il copie les tableaux des musées, suit les cours
du soir à la villa Médicis et fait la connaissance de
quelques peintres. Parallèlement à ses études
d'après les maîtres anciens, il peint des portraits posés
par ses proches. Il commence en 1858-1859 un grand tableau à
la manière de Holbein ou de Van Dyck, représentant son
oncle, sa tante et leurs deux fillettes, la Famille Bellelli, chef-d'uvre
de ces années de formation. Vers 1860, il peint des portraits
proches du linéarisme d'Ingres et des sujets historiques (Sémiramis
construisant Babylone, 1861).
Le
réalisme
De
retour à Paris, Degas entame véritablement sa carrière
de peintre. Encore inconnu du public, des amateurs et des marchands,
il vit de la confortable pension que lui verse son père. Il
loue un atelier dans le IXe arrondissement, dont il ne s'éloignera
plus guère de toute sa vie; il y fréquente le café
de la Nouvelle-Athènes. En 1865, il expose pour la première
fois au Salon, avec Scène de guerre au Moyen Âge, un
tableau d'inspiration historique. Il abandonne bientôt ce genre
pour se tourner vers des sujets modernes: courses de chevaux, spectacles
d'opéra, ballerines. Il est fasciné par la «scandaleuse»
peinture de ses contemporains Courbet et Manet. Au café Guerbois,
il se joint aux réunions d'un groupe d'artistes: Monet, Astruc,
Bracquemond, Bazille, Fantin-Latour, Renoir, Cézanne, Pissarro.
Très vite, Degas apparaît, avec Manet, comme le chef
de file d'une nouvelle école esthétique qui, après
la guerre franco-prussienne, se constitue en association d'artistes
afin d'organiser des expositions sans jury. Degas embrasse donc la
cause du réalisme et, en 1872-1873, au cours d'un voyage à
La Nouvelle-Orléans, berceau de sa famille maternelle, formule
son projet artistique: «Rendre le mouvement naturaliste digne
des grandes écoles.» De ce séjour date un tableau
d'une pénétrante vérité, le Marché
du coton, aussi appelé Portraits peints dans un bureau.
Edgar
Degas : le Bureau du coton à la Nouvelle-Orléans
Les
années impressionnistes
Mais, bientôt,
Degas se tourne, comme Manet, vers une voie picturale divergente:
la première exposition du groupe, surnommé «impressionniste»
par le critique Louis Leroy, se tient dans l'atelier du photographe
Nadar, en avril et mai 1874. L'événement fait scandale.
La presse blâme les artistes de ne traduire que des impressions
visuelles superficielles, sans se soucier des règles académiques
de composition et d'harmonie de couleurs. Leurs toiles apparaissent
comme inachevées, leurs couleurs, d'où sont exclus les
noirs et les ombres grises, comme stridentes et artificielles. Ignorant
les critiques, Degas s'engage de plus en plus profondément
dans ses recherches, multipliant les expérimentations techniques.
Il travaille avec des bâtons de pastel secs ou mouillés
pour obtenir des effets fondus ou avec des pigments purs qu'il fixe
sur le papier à l'aide d'une brosse trempée dans une
solution d'eau et de colle. Il aime l'aspect velouté et opaque
de ces matières, leur caractère souple et vivant, qui
conserve la facture gestuelle. Le pastel et la gouache permettent
de traduire des impressions visuelles spontanées. Ils s'opposent
au travail plus élaboré de la peinture à l'huile.
Dans ses tableaux, en effet, Degas laisse souvent visible le travail
de la main, la trace des coups de pinceau chargé d'une matière
très fluide, presque diaphane. Ne se souciant pas de donner
a priori à ses toiles un aspect fini et léché,
il s'attache à traduire en quelques traits et surfaces colorées
le caractère essentiel de son motif. Seuls ses portraits sont
travaillés de manière réaliste. Sa famille et
ses amis posent pour lui. En raison des liens affectifs étroits
du peintre avec son modèle, ces portraits expriment une profonde
vérité psychologique. Dans les scènes de groupe,
Degas s'attache à un nombre restreint de sujets: repasseuses,
courses de chevaux (Avant le départ, 1862), ballets (la Classe
de danse
, 1874; Danseuse à la barre, 1880). Son faible intérêt
pour le paysage le distingue des autres impressionnistes, amateurs
de sujets de plein air. Les scènes à plusieurs personnages
sont prétextes à des recherches de compositions inédites,
où le motif apparaît tronqué, souvent coupé
en deux, décentré ou asymétrique. Degas cherche
ainsi à fixer, comme dans un instantané photographique,
un fragment de la réalité. Cette vision spontanée
est paradoxalement le résultat d'une élaboration complexe.
Degas multiplie les croquis sur le vif et met en place sa composition
finale en atelier. On ne compte plus, par exemple, les danseuses esquissées
au fusain ou à la peinture à l'essence sur des papiers
de couleur, puis transposées sur des toiles. Pendant des années,
les petits rats de l'Opéra s'exerçant à la barre,
en répétition, sur scène ou au repos constituent
le thème favori de sa peinture. Degas obtiendra assez tard
une autorisation pour travailler sur place, à l'Opéra:
les danseuses viennent donc poser chez lui et il compose ensuite d'imagination
son tableau. Ses danseuses et ses chevaux de course conservent cependant
la saveur de la réalité, tout en faisant la synthèse
d'expériences personnelles et d'influences variées,
comme, pour les chevaux, la peinture anglaise et les estampes japonaises.
Parallèlement à la peinture, Degas pratique la sculpture,
modelant dans la cire des séries de danseuses, de Femmes à
leur toilette (1885-1898) et de chevaux. Sa plus célèbre
statue, la Petite Danseuse de quatorze ans, habillée de vrais
vêtements, un ruban noué dans les cheveux, crée
le scandale lorsqu'elle est présentée à la sixième
exposition impressionniste.
Edgar
Degas : l'Absinthe, Edgar Degas :
la
Classe de danse
Des
orgies de couleurs
À 46 ans, Degas
jouit d'une réputation bien établie et, dans les années
1880, son uvre remporte un succès grandissant. Après
la dernière exposition impressionniste, en 1886, il s'abstient
de participer aux manifestations artistiques collectives. Il mène
une existence réglée, presque exclusivement consacrée
au travail. Célibataire, il s'entoure de quelques amis choisis.
Ce confinement dans les habitudes lui permet, paradoxalement, les
plus grandes audaces dans son uvre. Aux thèmes de prédilection
des années 1870 vient s'ajouter une série d'uvres
sur les modistes. Les chapeaux, agrémentés de multiples
fanfreluches, indispensables accessoires de la coquetterie féminine,
sont prétextes à une débauche de couleurs et
de formes animées. La femme est omniprésente dans les
tableaux de la maturité, mais c'est plus le traitement de l'espace
que le sujet qui retient l'attention de l'artiste. La plupart de ses
compositions sont prises d'un point de vue élevé, en
vue plongeante. Les personnages sont présentés en vue
rapprochée, dans une lumière théâtrale.
Le spectateur entre dans l'intimité du modèle, femmes
surprises à leur toilette, vues de dos ou de profil, se cambrant
sous la morsure du peigne dans leur épaisse et flamboyante
chevelure.
Les
dernières années
Les troubles de la vue
dont Degas souffre depuis plusieurs années s'aggravent avec
l'âge. Ses facultés amoindries sont-elles à l'origine
de l'abstraction de plus en plus grande des uvres de sa dernière
période? À la fin du siècle, Degas reprend avec
enthousiasme les pastels de sa jeunesse. Il travaille en grand format
la gesticulation frénétique des danseuses russes, ses
«orgies de couleurs» comme il les appelle, et dessine
des nus sans relâche, utilisant du papier-calque afin de reprendre
son dessin sans le surcharger ni le détruire. Il pratique aussi
le modelage en cire ou en plastiline.
En 1910, devenu aveugle,
il cesse de travailler. Il meurt sept ans plus tard, d'une congestion
cérébrale. Degas laisse l'image d'un être sensible,
spirituel et distingué, intransigeant pour tout ce qui touche
à l'art, et gardant, comme tous les génies, le pouvoir
de déranger.