Edouard Manet
(1832-1883)
Biographie
UN
ACADEMISME NOUVELLE MANIERE
Le
buveur d'absinthe Manet qui effectua de nombreux voyages en Europe pour y étudier les grands maîtres de la peinture devait être particulièrement influencé par les oeuvres du néerlandais Frans Hals et des espagnols Diego Velasquez et Francisco Jose de Goya. Sa première soumission au Salon en 1859, "Le buveur d'absinthe", à la résonance espagnole alors à la mode - l'impératrice Eugénie était d'origine espagnole -, fut refusée, malgré l'avis favorable de Delacroix, pour le motif essentiel que MANET utilisait une configuration picturale traditionnelle (le portrait de plein pied) pour représenter un être marginal et socialement discrédité. Thomas
Couture devait condamner ce tableau en disant : "Peint-t-on quelque
chose d'aussi laid? Mon pauvre ami, il n'y a ici qu'un buveur d'absinthe,
c'est le peintre qui a produit cette insanité..." Manet avait trouvé un mode de création qui caractérisera l'essentiel de sa future production : combiner des configurations picturales traditionnelles et leurs valeurs expressives avec la réalité contemporaine. Ainsi, bien avant l'impressionnisme proprement dit, Manet pose les termes de la polémique artistique à venir : révolte individuelle contre les conventions académiques, moyens picturaux mis au service de sujets contemporains nouveaux... Au début des années 60, Manet, à la manière d'un flâneur, parcourt sans relâche Paris, qui changeait alors de jour en jour, pour en déceler les caractéristiques les plus subtiles, les transformations, dessinant dans son carnet "un rien, un profil, un chapeau, en un mot une impression fugitive". Manet fut accepté au Salon en 1861 avec un autre tableau plus complaisant de la mode espagnole de la même facture que "Lola de Valence" (1862).
LES PREMICES DE L'IMPRESSIONNISME En revanche "La Musique aux Tuileries" (1862), tableau résultant d'une des flâneries de Manet, de facture légère et ouverte, sans composition centralisante, qu'il présenta à une exposition personnelle à la galerie Martinet fut accueilli négativement, car contredisant la conception établie de la nécessité d'une forme picturale aboutie. On peut pourtant y décéler, de par son sujet, sa composition et sa facture, l'une des voies de l'Impressionnisme qui allait apparaître quelques années plus tard. La
musique aux Tuileries En 1863, il exposa "Le Bain" qui sera renommé en "Déjeuner sur l'herbe" (musée d'Orsay, Paris) au Salon des refusés, nouveau lieu d'exposition inauguré par Napoléon III accueillant, à la demande des artistes, les uvres rejetées au Salon officiel. Le déjeuner
sur l'herbe
Là
encore, Manet transpose dans une scène contemporaine des citations
académiques avec une modernité extraordinairement féconde,
là où certains, à l'époque, ne virent que
leur utilisation pour manque d'invention formelle de la part de l'artiste.
Ce tableau attira immédiatement l'attention du public et fut l'objet de violents sarcasmes. Il sera violemment attaqué par les critiques, provoquant un scandale particulier au coeur même du scandale général que constitua le Salon des Refusés. Salué par de nombreux jeunes peintres qui admiraient en lui un novateur conscient de ses effets, Manet se trouva, un peu contre son gré, au centre d'une dispute opposant les défenseurs de l'art académique aux artistes « refusés ». Manet, qui avait une ambition de réussite bourgeoise, devait souffrir toute sa vie de ce que sa peinture, portée par une grande intuition artistique, ne lui vaille qu'une notoriété sulfureuse, mais point de reconnaissance officielle.
Là encore, Manet citant un classique représente celle qui est censée être une divinité de la Renaissance faisant référence à l'Antiquité, comme la fille de luxe parisienne qui avait servi de modèle (Victorine Meurent), avec un réalisme si fidèle et si peu en rapport avec les voiles de l'idéologie du Second Empire, qu'il souleva des vagues de protestations au sein des cercles académiques. Manet
qui avait conscience d'avoir réussi là quelque chose d'important
conservera ce tableau jusqu'à sa mort, et Claude Monet, après
la mort de Manet organisera une collecte pour éviter que la veuve
de Manet, alors en difficulté financière, ne le vende
à un américain. "Olympia" rentrera au Louvre
en 1893. Olympia
A partir de 1866, Émile Zola, qui allait devenir son ami, prit fait et cause dans l'Evènement pour l'art de Manet et la nouvelle conception artistique qu'il désignait sous le nom de "Naturalisme". Pendant la seconde moitié des années 1860, Manet devint le peintre le plus respecté d'un groupe d'artistes, d'écrivains et d'amateurs d'art qui se rencontraient au Café Guerbois, rue des Batignolles. Le peintre Fantin-Latour, après son "Hommage à Delacroix", peindra "Un atelier aux Batignolles" (1870) où Manet occupe cette fois la place du maître vénéré devant un cercle au sein duquel figurent Zola, Astruc, Renoir, Monet et Bazille. Si les jeunes peintres qui allaient être le noyau de l'impressionnisme, Edgar Degas , Claude Monet , Auguste Renoir , Alfred Sisley , Camille Pissarro et Paul Cézanne , subirent l'influence de Manet, ceux-ci devaient par la suite en retour influencer son art, le rendant plus sensible aux jeux de lumière. Il faut voir en Manet plutôt qu'un représentant à part entière de l'impressionnisme, un puissant inspirateur de celui-ci Manet devait encore peindre dans cette décennie plusieurs chefs-d-oeuvre, comme "Le fifre" (1866) - qui fut refusé au Salon -, "La lecture" (1865-73), "Le repos" (1870).
MANET SOUTIENT LES IMPRESSIONNISTES Manet dont les convictions étaient républicaines s'engagea dans la Garde Nationale lors de la guerre de 1870 et vécut la Commune à Paris. Sous l'influence de ses élèves, Berthe Morisot et Eva Gonzalès, et de ses amis impressionnistes, Manet allait expérimenter la peinture de figures en lumière naturelle dans des toiles comme "Le chemin de fer, Gare Saint-Lazare" 1872-73 ou "Sur la plage" 1873. En 1874, l'artiste choisit de ne pas participer à la première exposition impressionniste. Il devait par la suite continuerà exposer régulièrement au Salon où sa notoriété ne cessera de s'affirmer. Pendant l'été 1874, Manet rendant visite à Monet et sa famille installés à Argenteuil s'ouvrit à l'impressionnisme et la peinture en plein air. Il y peint "La famille Monet au jardin" , "Claude Monet et sa femme dans son studio flottant", "Argenteuil". Manet allait désormais adhérer totalement à l'Impressionnisme et soutenir particulièrement Monet, achetant à son insu des toiles qu'il bradait 100 francs pièce, ou cherchant à gagner le critique Wolff à l'art de Monet et de ses amis. En 1877, Manet devait encore provoquer les critiques avec "Nana", représentation grandeur nature d'une jeune femme, en jupons et corsage, en train de se poudrer en présence d'un homme qui l'attend, qui fut refusé au Salon. Manet connaîtra tardivement la reconnaissance officielle à laquelle il aspirait : il deviendra en 1881 un "hors concours" du Salon en obtenant une médaille avec "Le portrait de Mr Pertuisait" , et sera nommé Chevalier de la Légion d'honneur, sur proposition de son ami A. Proust, devenu ministre des Beaux-Arts. Un
bar aux Folies-Bergère
Manet
y donne une nouvelle fois une démonstration de son art, brillant
par une interprétation impassible et objective d' une scène
de la société dans laquelle il vit - une serveuse au regard
vide et absent ne participant que par sa beauté extérieure
aux éclats de ce palais du plaisir -, une composition en plusieurs
plans spatiaux - résultant du miroir situé derrière
la serveuse -, des qualités de peintre de natures mortes - le
réalisme des bouteilles , des fruits, des fleurs... -, les tonalités
opposant la dure froideur des éclairages à l'atmosphère
enfumée du bar rendue par des couleurs atténuées. Il mourut à Paris le 30 avril 1883, laissant une uvre importante, comprenant plus de quatre cents peintures à l'huile, des pastels et de nombreuses aquarelles.
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