J'aime
la Bretagne, j'y trouve le sauvage, le primitif Quand mes sabots retombent
sur ce sol de granit, jentends le son sourd, mat et puissant
que je cherche en peinture. »C'est par ces termes que Paul Gauguin
débarque à Pont-Aven en 1886 petite bourgade bretonne
envahie de peintres venant de tout horizon... Une sorte de Montmartre
à Paris, de Chelsea à Londres ou du soho New York pour
amateur de pittoresque!
Avec
la côte normande, Îa Bretagne était, dans tes années
80, le rendez-vous des peintres. La forte personnalité de Gauguin
suffit à donner à un groupe assez d'homogénéité
pour créer une école : celle de Pont- Aven, dont les
théories devaient se concrétiser dans ce qu'on a appelé
indifféremment le cloisonnisme ou le synthétisme, traitant
par larges plans de couleurs des motifs dont les contours sont eux-mêmes
accusés par des cernes. C'est donc la Bretagne, pays de traditions,
vaguement druidiques, certainement religieux avec ses relents féodaux
qui inspire cette incroyable modernité de la peinture de Gauguin
et de ceux qui l'accompagneront au cours de ses séjours pour
former cette célèbre école de Pont-Aven!

« Cette école de Pont-Aven qui, selon Maurice Denis,
aura influencé autant dartistes que, naguère,
lécole de Fontainebleau », cest, en un sens
étroit, lécole des peintres réunis autour
de Gauguin dans cette bourgade puis au Pouldu, et qui, lui absent,
ont continué de peindre dans cette facture dont il sest
peu à peu dégagé lui-même pour atteindre
à lexpression même du mystère. Cest
aussi la naissance du symbolisme en peinture, et tout le surréalisme
y prendra grand intérêt (Breton, après Jarry,
a admiré notamment les oeuvres singulières de Filiger).
Cest surtout pour les artistes le droit au lyrisme, à
la liberté. Et Gauguin savait ce quil avait donné
: « Vous savez depuis longtemps ce que jai voulu établir
: le droit de tout oser. Ceux qui, aujourdhui, profitent de
cette liberté me doivent quelque chose. »
Le
Fauvisme est déjà là en germe
Petit
à petit les peintres se débarassent de l'impressionnisme
et du rendu de la réalité pour atteindre une harmonie
détachée du réel; Fini les modelés, la
profondeur, la source de lumière si chers à leurs aînés.
Ce qui compte, ce sont les masses simplifiées: de belles meules
rouges, des coiffes bretonnes prétextes à de biscornus
à-plats blancs, des personnages hiérartiques. Ce qui
compte surtout c'est la couleur: les arbres bleus,et des sols rouges
le clament, en forme de manifeste.
Au
début c'est une extraordinaire valse-hésitation qui
ressort des premières toiles; Certains peinent à se
détacher des petites touches à la "Pissaro",
des flammes colorées à la "Van Gogh"; Parfois
, notamment Gauguin et Emile Bernard, alternent la manière
impressionniste avec des masses colorées cernées de
noir, inspirés du vitrail.C'est tour à tour pâteux,malhabile,
raffiné, audacieux inspiré de l'estampe japonaise.
Le
Symbolisme est en route
le
symbolisme accorde la primauté au rêve, au mystère,
aux visions oniriques, aux fantasmes.
Ce
sont les peintres de Pont-Aven qui, dans une part au moins de leurs
uvres, manifestent un symbolisme spirituellement et plastiquement
novateur. Avec eux, l'uvre d'art sera : " 1° Idéiste,
puisque son idéal unique sera l'expression de l'Idée
; 2° Symboliste, puisqu'elle exprimera cette Idée par des
formes ; 3° Synthétique, puisqu'elle écrira ces
formes, ces signes, selon un mode de compréhension général
; 4° Subjective, puisque l'objet n'y sera jamais considéré
en tant qu'objet, mais en tant que signe d'idée perçu
par le sujet ; 5° (c'est une conséquence)
Décorative
Paul Gauguin " le Maître"" le boss"
Avant
son premier séjour en Bretagne (1886), la fuite avec son ami
le peintre Charles Laval vers Panama (avril 1887) et le bref refuge
à la Martinique, Gauguin sent séveiller en lui
une vocation de céramiste, à la manière dun
Bernard Palissy décadent et barbare. Il produisit en quelques
mois cinquante-cinq vases. Il y reprend des formes et des thèmes
quil se souvenait avoir vus dans les vases péruviens
de la culture Chimu chez sa mère et dans la poterie précolombienne
dArosa de la même manière que létrange
Nature morte à la tête de cheval, peinte à Copenhague
en 1885, recule « plus loin que les chevaux du Parthénon,
jusquau cheval de mon enfance, le bon cheval de bois ».
Au cours du second séjour en Bretagne (1888), les discussions
et les expériences de Gauguin et dÉmile Bernard
devaient aboutir au double acte de naissance du synthétisme
et du cloisonnisme (il faut comparer la Vision après le sermon
du premier et les Bretonnes dans la prairie du second). La plongée
vers les arts primitifs (Le Christ jaune, Le Christ vert ou Calvaire
breton) neut lieu quavec le troisième voyage (1889).
Parmi les peintures de 1889 apparaissent lidole (dans La Belle
Angèle), le symbolisme religieux syncrétique, annonciateur
de Ia orana, Maria (Je vous salue, Marie exposé à la
page Gauguin de 1891, et de La Cène de 1899, avec Nirvana :
Portrait de Meyer de Haan, et les archétypes sexuels et solaires
: la Femme caraïbe, qui provient de lauberge du Pouldu,
sinspire à la fois dune danseuse du pavillon javanais
de lExposition universelle de 1889 à Paris et des tournesols
de Van Gogh.
Gauguin-nature
morte et portrait de charles Laval-1886
Gauguin- Christ Jaune 1888- albright gallery-Buffalo
Gauguin- belle Angèle- 1889-orsay musée
Caractéristique de cette période est ce fameux "
Christ jaune ", chef-d'uvre commencé à Pont-Aven,
terminé au Pouldu. Sur ce fond de campagne automnale, couleur
de soufre et de feu, se dresse le corps fruste du Crucifié
monumental, en ce tableau de dimensions modestes, et inquiétant
comme une idole barbare. Les indigos des robes bretonnes exaltent
encore les jaunes. Est-ce volontairement ou inconsciemment que Gauguin
a trouvé pour cette toile religieuse cette harmonie de bleu,
d'or et de flamme, chère à Van Gogh, les couleurs symboliques
de la spiritualité? Ici s'ouvre la voie des libertés
de la peinture moderne, des licences et des audaces du fauvisme et
de l'expressionnisme.
peindre à Pont-Aven « sous la dictée
de Paul Gauguin ».
«
Comment voyez-vous cet arbre ? avait dit Gauguin : Il est bien vert
? Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette ; et cette
ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue
que possible. » Ainsi nous fut présenté pour la
première fois, sous une forme paradoxale inoubliable, le fertile
concept de la « surface plane recouverte de couleurs en un certain
ordre assemblées ». Ainsi nous connûmes que toute
uvre dart était une transposition, léquivalent
passionné dune sensation reçue. »
Paul
Serusier- Mer au Poldu-1889
Gauguin- les arbres bleus- 1888
Gauguin-portrait de Meyer de Haan
Gauguin-gardien
de cochons
Gauguin_ Pont Aven
Les disciples de cette école de Pont-Aven
Autour
de Paul Gauguin, séduits par son ascendant, se groupent notamment
Charles Laval (qui lavait accompagné à la Martinique),
Henri de Chamaillard, Maxime Maufra, Henry Moret, Émile Jourdan,
Cuno Amiet. dAnquetin, de Schuffenecker. En août arrive
un jeune peintre de vingt ans, Émile Bernard
*
Emile Bernard à la naissance du symbolisme pictural
Très
doué, intelligent et cultivé, lié à Signac,
à Seurat et à Van Gogh, Émile Bernard avait mis
au point avec son ami Louis Anquetin une technique nouvelle de larges
teintes plates cernées dun trait sombre, inspirée
à la fois par lestampe japonaise et par le métier
du vitrail et des émaux ; Il y avait là une volonté
de simplification qui rejoignait tout à fait les préoccupations
de Gauguin. Tous deux échangent leurs idées, confrontent
leurs travaux : « Lun était pour lautre élève
et maître », pourra écrire le peintre Jan Verkade.
Bernard peint ses Bretonnes dans la prairie, et Gauguin immédiatement
après sa Vision après le sermon ou La Lutte de Jacob
avec lAnge (National Gallery, Édimbourg) dont le rouge
central brûle comme un feu : le symbolisme pictural est né.
il semble bienaujourd'hui qu'Emile Bernard fut le promoteur du cloisonnisme,
même si t'exilé des île Marquises lui donna ses
" lettres de noblesse ". II est certain qu'Emile Bernard
joua un rôle capital dans l'évolution qui orienta la
peinture en cette fin de siècle.
En
septembre 1886, il avait rencontré sur la plage de Concameau
Emile Schuffenecker, ami et condisciple de Gauguin, et il s'installaà
Pont-Aven auprès de son aîné qui cherchait encore
une voie originale.
Bernard
Ronde bretonne musee quimper
Un groupe de Bretonnes, vêtues de robes noires et portant collerettes
et coiffes blanches dansent la gavotte, pendant que deux sonneurs
de biniou et de bombarde jouent, juchés sur des trétaux
ou des barriques. Cette peinture est particulièrement représentative
des recherches novatrices menées en 1888 à Pont-Aven
par Gauguin et Bernard.
*
Paul Sérusier, le « nabi à la barbe rutilante
» Annonciateur du Nabis
Deux
ans plus tard, en Octobre 1888, un autre jeune peintre rentrait de
Pont-Aven où il avait subi l'ascendant de Gauguin et présentait
à ses amis de l'Académie julian, un panneau de bois
peint qu'il appela le Talisman. Si Emile Bernard avait été
le fondateur du cloisonnisme, Paul Sérusier allait se faire
le théoricien des idées nouvelles héritées
de Gauguin et, au cours de joyeuses agapes" on décida
d'appeler nabis - ce qui signifie prophètes, en hébreu
- les adeptes du groupe. Avec Anquetin, Verkade, Ranson, dont l' atelier
devint le " temple ", et d'autres transfuges de Pont-Aven,
la nouvelle école eut siège à Paris, Quatre peintres,
qui furent des condisciples de lycée et des amis de jeunesse,
ont fixé la gloire des nabis, tout en s'écartant heureusement
des formules de base à mesure que leurs personnalités
s'affirmaient. Ils se nomment Pierre Bonnard, le " Nabi très
japonard ", Edouard Vuillard, le " Nabi te Zouave ",
Maurice Denis, le " Nabi aux belles icônes ""
et K.-X. Roussel. Tous eurent longue vie et belle carrière
; tous furent fidèles à l'amitié.
En
juin 1889, ils peuvent voir au café Volpini, dans lenceinte
de lExposition universelle, les peintures dÉmile
Bernard, de Gaugin, dAnquetin, de Schuffenecker, réunis
avec quelques autres sous le nom de groupe impressionniste et synthétiste.
Révélation décisive pour eux : lartiste
sait désormais quil peut se détacher du réel
pour créer un être en soi, le tableau, doué dune
vie propre
Paul
Serusier- Pardon breton
La guirlande de roses- musee de Genève
* Henry Moret
Normand
d'origine,Henry Moret découvre la Bretagne pendant son service
militaire qu'il effectue à Lorient. Puis il s'y établit
et de là il rayonne le long de la côte. En 1888, il rencontre
Gauguin à Pont-Aven et s'intègre au petit groupe. Son
oeuvre a été influencée par cette rencontre.

Henry
Moret - Paysage
*Maxime Mauffra
En
1889, Maxime Maufra abandonne les affaires pour se consacrer entièrement
à la peinture. La même année, par hasard, il rencontre
à Pont-Aven Gauguin, Laval, Sérusier, Filiger et de
Haan. Maufra, attiré par l'impressionnisme, entend, lors de
cette rencontre, parler de couleurs pures. Il adopte le synthétisme
et, durant les deux, trois années où il séjourne
à Pont-Aven (1891-1893), puis au Pouldu, réalise des
oeuvres remarquables. Gauguin visite son atelier en novembre 1893
à son retour d'Océanie et les deux artistes deviennent
amis. De 1894-1895, il séjourne en divers lieux de Bretagne
: Pont-Aven, Lorient, Quimperlé, Paimpol, Bréhat ou
Saint-Michel-en-grève. A partir de 1898, la facture de Maufra
devient plus strictement impressionniste.

Mauffra-vue
du port de pont-aven musée quimper
* Meyer de Haan
Refusant
de faire carrière dans la biscuiterie familiale, Meyer de Haan
prit des leçons à l'Académie des Beaux-Arts d'Amsterdam.
En 1888, il se rend à Paris et fait connaissance de Gauguin.
L'été suivant, il le suit en Bretagne et l'aide même
financièrement pendant les mois où ils séjournent
à l'auberge de Marie Henry. En échange, Gauguin lui
donne des leçons de peinture. Mais l'amitié entre les
deux artistes va être rompue et Meyer de Haan retourne au Pays-Bas.
Le Synthétisme de Gauguin eut une influence prédominante
sur sa peinture qui se caractérise par des harmonies de couleurs
saturées.

Meyer
de Haan-nature morte 1890-musée quimper
* Maurice Denis
La
première influence de Paul Gauguin à Maurice Denis vint
par Paul sérusier. Celui-ci rapporta un jour de Pont-Aven un
petit couvercle de boîte à cigares . On y distinguait
" un paysage informe à force d'être synthétiquement
formulé en violet, vermillon, vert véronèse et
autres couleurs pures, telles qu'elles sortent du tube, presque sans
mélange de blanc" Cette découverte vint renforcer
son opinion par l'opposition de tons puissants et simples posés
à-plats semblables aux verres de couleurs que cerne un liseré
de plomb. sur ces entrefaites, il découvrit Cézanne
et Van gogh. C'est ce patronage que revendiqua la jeune école
des "Nabis" dont Maurice Denis fut le leader.

Denis-
religieuses surla terrasse de St gErmain en Laye
" La Nature, j'ai voulu la copier; Je n'arrivais pas. Mais j'ai
été content de moi lorsque j'ai découvert que
le soleil, par exemple, ne se pouvait pas reproduire, mais qu'il fallait
le représenier par autre chose... par de la couleur ".
" Voilà, s'écrie Maurice Denis, la défi-
nition du symbolisme, tel que nous l'entendions vers 1890 "
Il
ajoutait " Se rappeler qu'un tableau, - avant d'être, un
cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, - est
essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain
ordre assemblées ïl protestait " contre ce sot préjugé,
enseigné partout et si pernicieux aux artistes d'hier, qu'il
suffit au peintre de copier bêtement ce qu'il voit, bêtement
comme il le voit
Ce
n'est pas la technique ainsi que l'esthétique de la peinture
qui sont repensées à Pont-Aven, mais toute sa philosophie.
aussi, on assiste à une peinture renouvelée que Gauguin
après Van Gogh et Seurat pour ne citer que les 3 grands ont
léguée à leurs successeurs, à qui il a
appartenu de continuer et parachever leur oeuvre. Avec l'équipe
des peintres de Pont-Aven autour de Paul Gauguin ce sont les forces
créatrices de la peinture contemporaine qui entrent en scène
écrit René Huyghe; ce dernier poursuit Gauguin est celui
dont les audaces furent les plus radicales et les plus fécondes
; " Peut-être plus que quiconque a-t-il le droit d'être
considéré comme le créateur de la peinture moderne"