Les
poèmes proposés ici sont les quatre premiers du recueil
Feuilles de route de Blaise Cendrars. L'auteur est dans le train
qui le mène de Paris au Havre, où il embarquera très
prochainement pour Rio de Janeiro.
DANS
LE RAPIDE DE 19 H. 40
Voici des années que je n'ai plus pris le train
J'ai fait des randonnées en auto
En avion
Un voyage en mer et j'en refais un autre un plus long
Ce
soir me voici tout à coup dans ce bruit de chemin de
fer qui m'était si familier autrefois
Et il me semble que je le comprends mieux qu'alors
Wagon-restaurant
On ne distingue rien dehors
Il fait nuit noire
Le quart de lune ne bouge pas quand on le regardeMais il est tantôt
à gauche, tantôt à droite du train
Le
rapide fait du 110 à l'heure
Je ne vois rien
Cette
sourde stridence qui me fait bourdonner les tym-
pans - le gauche en est endolori - c'est le passage
d'une tranchée maçonnée
Puis c'est la cataracte d'un pont métallique
La harpe martelée des aiguilles la gifle d'une gare le
double crochet à la machoire d'un tunnel furibond
Quand le train ralentit à cause des inondations on entend
un bruit de water-chute et les pistons échauffés de
la
cent tonnes au milieu des bruits de vaisselle et de frein
Le Havre autobus ascenceur
J'ouvre
les persiennes de la chambre d'hôtel
Je me penche sur les bassins du port et la grande lueur
froide d'une nuit étoilée
Une femme chatouillée glousse sur le quai
Une chaîne sans fin tousse geint travaille
Je
m'endort la fenêtre ouverte sur ce bruit de basse-cour
Comme à la campagne