Charles Baudelaire

1821 / 1867

Les Fleurs du mal / 1ere partie :

Spleen et Ideal

Seamper eadem

Tout Entiere

Semper eadem

"D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange,
Montant comme la mer sur le roc noir et nu?"
- Quand notre coeur a fait une fois sa vendange
Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu,


Une douleur très simple et non mystérieuse
Et, comme votre joie, éclatante pour tous.
Cessez donc de chercher, ô belle curieuse!
Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!


Taisez-vous, ignorante! âme toujours ravie!
Bouche au rire enfantin! Plus encor que la Vie,
La Mort nous tient souvent par des liens subtils.


Laissez, laissez mon coeur s'enivrer d'un mensonge,
Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe
Et sommeiller longtemps à l'ombre de vos cils!

Tout entière

Le Démon, dans ma chambre haute
Ce matin est venu me voir,
Et, tâchant à me prendre en faute
Me dit: "Je voudrais bien savoir


Parmi toutes les belles choses
Dont est fait son enchantement,
Parmi les objets noirs ou roses
Qui composent son corps charmant,


Quel est le plus doux."- O mon âme!
Tu répondis à l'Abhorré:
"Puisqu'en Elle tout est dictame
Rien ne peut être préféré.


Lorsque tout me ravit, j'ignore
Si quelque chose me séduit.
Elle éblouit comme l'Aurore
Et console comme la Nuit;


Et l'harmonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l'impuissante analyse
En note les nombreux accords.


O métamorphose mystique
De tous mes sens fondus en un!
Son haleine fait la musique,
Comme sa voix fait le parfum!"