Charles Baudelaire

1821 / 1867

Revolte

La fin de la journee &

Le reve d'un curieux

La Fin de la journée

Sous une lumière blafarde
Court, danse et se tord sans raison
La Vie, impudente et criarde.
Aussi, sitôt qu'à l'horizon


La nuit voluptueuse monte,
Apaisant tout, même la faim,
Effaçant tout, même la honte,
Le Poète se dit: "Enfin!


Mon esprit, comme mes vertèbres,
Invoque ardemment le repos;
Le coeur plein de songes funèbres,


Je vais me coucher sur le dos
Et me rouler dans vos rideaux,
O rafraîchissantes ténèbres!"

Le Rêve d'un curieux

A Félix Nadar
Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse
Et de toi fais-tu dire: "Oh! l'homme singulier!"
- J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse
Désir mêlé d'horreur, un mal particulier;

Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse;
Tout mon coeur s'arrachait au monde familier.


J'étais comme l'enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle...
Enfin la vérité froide se révéla:


J'étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait. - Eh quoi! n'est-ce donc que cela?
La toile était levée et j'attendais encore.