Antonin Artaud

1896 / 1948

Biographie

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POUR EN FINIR AVEC LE JUGEMENT

DE LA SOCIÉTÉ

« Pour en finir avec le jugement de Dieu »
Création radiophonique de 1948.

INSTRUCTION DU PROCÈS ANTONIN ARTAUD

Les éditions André Dimanche Éditeur présentent un superbe coffret contenant 4 cd audio comprenant l’intégralité de la légendaire émission radiophonique, interdite d’antenne pendant plusieurs années, qui fut créée en 1948 par Antonin Artaud sous le titre : « Pour en finir avec le jugement de Dieu ».

Ce coffret comprend également quelques déclamations enregistrées par le poète ainsi qu’un atelier de création sonore sur lequel il est possible d’entendre, entre autres, les voix de Maria Casarès et de Roger Blin. Cet atelier nous offre aussi la magnifique audition du texte sur : « Van Gogh, le suicidé de la société ».

Voici donc un excellent prétexte pour faire le point, quarante ans après la disparition de l’auteur du « théâtre et son double », sur la question de ses neuf années d’internement asilaire.

Il ne sera pas question dans ce qui va suivre d’établir ici le procès de la psychiatrie.

Cette science respectable, à l’image d’autres consœurs, suit également le long et laborieux apprentissage inhérent au jalonnement des découvertes scientifiques et de la recherche. Elle doit encore apprendre. Il faut par ailleurs, reconnaître objectivement que cette discipline comporte de talentueux et honorables praticiens qui exercent souvent leur profession dans des conditions matérielles difficiles.

Laissons aussi, pour l’instant, des esprits insinuants qui tenteraient d’établir une succession méthodologique entre les jets d’eau glacée du 19° siècle supposés guérir les « hystériques », l’électrochoc rédempteur du 20° et la grande générosité avec laquelle sont dispensés les tranquillisants et autre anti-hallucinatoires de tout ordre de nos jours.

Nous allons plutôt nous concentrer sur « l’affaire Artaud », acteur, metteur en scène, théoricien de l’art, poète interné pour des motifs à déterminer entre 1937 et 1946.

Des faits, en premier lieu :

Antonin Artaud, en mal de surréalisme et de théâtre absolu vient d’expérimenter le champignon magique –peyotl- avec les Indiens Tarahumaras du Mexique (1936).

De retour en France, le voici bientôt doté d’une canne hiératique qui aurait appartenue à saint Patrick. Il décide d’aller restituer ce talisman à celle qu’il estime être sa propriétaire légitime : l’admirable nation irlandaise (1937).

Voici une idée a priori saugrenue, même si elle émane d’un cerveau qui fut l’un des plus brillant promoteur du surréalisme. Mais elle semble surtout fort inoffensive.

Surtout si nous nous remémorons l’historique des conquérants, armés d’intentions don quichotesques ou non, qui décidèrent de tout temps de marcher sur Albion.

Naturellement, cette initiative se déroule mal.
Et voici ou peuvent commencer à se projeter les feux de la justice en ce qui concerne l’affaire Artaud. Et ce, parce qu’il est subitement arrêté par les autorités locales. Il sera ensuite extradé vers la France pour des motifs indéterminés. Lors de son voyage de retour par bateau, il se produit également une obscure altercation avec les membres de l’équipage. Débarqué sur son sol natal, l’enfer de neuf années d’internement, j’allais dire d’incarcération, commence pour l’immortel interprète de Marat dans le Napoléon d’Abel Gance.
Mais employons quand même la spécificité du terme internement. Car ce mot renferme un principe probablement plus terrifiant qu’une peine déterminée de prison ; il implique que le patient interné ne connaît pas, à l’avance, sa date de restitution à la vie normale.
Par-dessus tout, les critères exacts qui objectiveraient sa libération restent nébuleux tant ils sont occultés par des tenants du pire travers de l’esprit scientiste : celui de l’indifférence et de la froideur humaine.
Il faudrait sans doute faire preuve de moins d’excentricités, ce qui semble difficile pour artiste, et de probablement plus d’obséquiosité pour espérer une libération rapide dans ce cas ?
Oui, mais pas de trop, tout de même, parce qu’un fou aimable cela à forcément quelque chose derrière la tête. Et alors, il redevient suspect. Et puis, en ce qui concerne Antonin Artaud, l’intéressé su toujours concilier agitation révolutionnaire surréaliste et affabilité. Alors...
- « Je vous assure que je me sens mieux, monsieur le médecin ».
- « Je vois cela, en effet ». Arrière pensée : - causes toujours, je sais bien que tu es schizo.
En regard de ce qui vient d’être évoqué, il est parfaitement évident qu’une société responsable doit se protéger d’individus déraisonnablement dangereux.

Je parle ici de méthodes et non de causes.

Une partie des méthodes employées à l’époque ou l’auteur du « théâtre et son double » fut interné coûtèrent 40 000 personnes à l’espèce humaine.

Nous étions, certes, en période de guerre et les privations matérielles de toutes sortes n’épargnèrent évidemment pas les pensionnaires du système asilaire français de l’époque. Mais devons nous rappeler que le régime de Vichy, pour cause officielle de défaite, était assujetti à celui de Berlin ? Devons nous citer les passages de Mein Kampf concernant la question des aliénés et du sort leur étant réservé ?

Certes, aucun ordre officiel établi à l’intention des directeurs d’asiles n’émanèrent du gouvernement français. Mais nous sommes face à un état de fait encore plus pernicieux : l’établissement d’une connivence tacite et officieuse pour obtenir des solutions finales acceptables et arrangeantes.

Et ici, le rationnement des vitamines et le prix du kilogramme de pommes de terre viennent à point. Or pour qu’une connivence existe, il faut au moins deux parties en action…

Naturellement, il serait peu objectif d’attribuer l’internement d’Antonin Artaud aux seuls dignitaires de l’idéologie nationale-socialiste, de leurs vassaux et de leurs serfs.

Par contre, la typologie et les caractéristiques de ces individus sont fort intéressante.

Et ce, parce qu’elles sont récurrentes dans l’histoire de l’humanité.

Ne serait-ce pas, effectivement, les mêmes, sous d’autres formes, qui se gaussaient en d’autres temps, à la vue, intolérable, pour certains, des premiers tableaux impressionnistes ? Est-ce leur filiation mentale directe qui se complait à visiter quelques décennies plus tard l’exposition sur les artistes dégénérés, parmi lesquels figurent aussi, forcément, des amis ou des proches de la sensibilité d’Artaud et qui fut organisée, précisément par le III° Reich ? Sont-ce toujours eux, encore, qui s’effrayent de découvrir que de jeunes universitaires occidentaux à la chevelure libre puissent danser extatiquement aux sons des subtiles mélodies électrifiées irradiant la plaine de Woodstock alors qu’à Saïgon, au même moment, une autre forme de grandeur et de valeur humaine se trouve en jeu ?

Dois-je continuer cette sinistre énumération chronologique ?

- « La liberté artistique terrifie certains, votre honneur ! Serait-ce la principale charge retenue contre monsieur Artaud ? ».

- « Ne pensez-vous pas, cher maître, qu’inversement, une émancipation incontrôlée de la liberté puisse conduire au chaos ou au retour à des atavismes dangereux ? »

- « Assurément, mais, en revanche, vers quel type de mode d’existence sociale mène l’étroitesse d’esprit et la défiance vis à vis des artistes, votre honneur ? »

Antonin Artaud dut longuement réfléchir au cas Vincent Van Gogh, autre pensionnaire des maisons de redressement mental. Il en résultera fort logiquement un des textes les plus pertinent jamais écrit sur un artiste : « Vincent Van Gogh, le suicidé de la société ».
Ce recueil, fut produit par un esprit en état d’hypersensibilité permanente et volontairement proclamée. Il habitait un corps en transe et transfiguré, le mauvais jeu de mots est volontaire, par le « bardo », allusion au livre des morts tibétains, de l’électrochoc réel et métaphorique du système asilaire. Un modeste effort d’imagination trouvera aisément une liaison figurative avec certains champs de tournesols singulièrement peints. Pour certains.
Degrés de tolérance sociale liée à une typologie spécifique d’individus immuables disais- je ? Et si, en ce printemps 2000 nous décidions de cesser subitement de peindre des baignoires en rose pour redécouvrir et affirmer les canons esthétiques immortels de la renaissance ?

Je ne dispose pas de l’ensemble exhaustif des éléments qui explicitent l’internement d’Antonin Artaud. Et, au fond, je ne tiens pas particulièrement à les posséder entièrement, par respect à ce que fut sa vie intime, et par convenance vis à vis de ses proches.

Ce que je sais, par contre, c’est que l’un de nos plus grand artiste fut enfermé neuf années dans un asile psychiatrique. Ceci ne se passait ni en Sibérie, ni aux confins du Chili, mais dans un pays dont la capitale venait d’être le centre mondial de la pensée et de l’art pendant des décennies. Voici en quoi l’affaire Artaud m’interpelle.

Thibaut MOINARD
Paris, avril 2000